« TRUE MANILA », LA CHARITÉ SANS LE VOYEURISME
MANILLE. En 1987, cet enfant qui joue avec ses amis sur un trottoir d’un bidonville de Manille est subjugué par ce couple de « blancs » dont il ne sait rien. Ils leur courent après, les suivent dans les rues adjacentes. Le couple s’arrête et leur parle. A distance, tous gloussent, puis s’enfuient. Sauf lui. Trop curieux pour retourner jouer. Presque paralysé par la différence. Le contact s’établit, ils le prennent sous leur aile, l’accueillent chez eux tous les jours, pendant un an. L’enfant apprend l’anglais, le sens des responsabilités. Son éducation est décuplée.
Puis ce couple d’américains, un jour, quitte les Philippines. Ils lui donnent un peu d’argent, et une enveloppe prête à poster avec leurs coordonnées. Une correspondance s’installe. Le couple s’assure d’envoyer quelques dollars à chaque fois, pour qu’il puisse payer le timbre. Cette main tendue a changé la vie d’Edwin, qui s’acharne aujourd’hui à donner la même opportunité aux enfants de son quartier. Il a donc créé True Manila, une expérience d’une demi-journée où il embarque locaux et étrangers dans des activités que les habitants font tous les jours. Moyens de transport, nourriture, jeux… C’est une immersion dans la vie des Manillais, un aperçu du quotidien des enfants en péril. Une plongée dans une précarité noyée par le foisonnement, les sourires, l’insouciance, le courage et la foi.
A bord d’une jeepney – vestige des années américaines reconverti en moyen de transport en commun – réservée pour l’occasion, notre groupe a embarqué, le 8 février, pour le 151e True Manila. Direction d’abord les familles défavorisées installées le long de la voie ferrée. Poussés à bord de chariots amovibles, nous avons parcouru un petit kilomètre pour rendre visite à ces gens de toutes générations qui vivent dans un no man’s land recouvert de déchets. La volonté d’Edwin : nourrir les enfants. Mais en les éduquant. Se présenter, d’abord, pour tuer le cliché de l’américain : non, tous les « blancs » ne viennent pas des Etats-Unis. Les « Hey Joe » (du film G.I. Joe) lancés ça et là à notre intention soulignent l’ancrage de cette contrevérité.
Demander le prénom, l’âge. Faire en sorte qu’ils parlent un peu d’Anglais. Leur faire dire merci en échange de banana cue, bananes frites et caramélisées, une spécialité. Edwin nous a expliqué qu’en quelques mois, le nombre de cahutes s’est démultiplié dans ce secteur. C’est le drame : lorsqu’un nouvel endroit apparait facile à coloniser, la misère se propage.
L’arrêt suivant allait cependant davantage marquer les esprits. Sous l’autoroute, un tunnel est désormais occupé par des dizaines de familles. Les pièces exiguës et basses s’y succèdent. Un couloir encombré jonché d’ustensiles et de cables les longe. Les flaques éclaboussent les murs lorsque les enfants courent d’une habitation à l’autre. Quelques ampoules diffusent une lumière faible. La chaleur y est écrasante. L’humidité désagréable. Sans être claustrophobe, on ne peut qu’avoir la sensation d’étouffer. Long de quelques dizaines de mètres seulement, ce tunnel apparait sans fin. Cette fois, ce sont des cahiers vierges, estampillés « Edukasyon », que nous avons distribués. Un par enfant.
Enfin, c’est près de la maison où Edwin a grandi que nous nous rassemblons. Ce bidonville, il l’a parcouru dans tous les sens. Il n’y a pas une rue qu’il ne connaisse pas. Dans un marché adjacent, nous sommes allés à la rencontre des enfants. Ou plutôt, ils sont venus nous voir. A peine descendus du jeepney, ils pullulaient. L’un vous saute dessus, l’autre vous tient la main. Bientôt, vous avez 5 ou 6 enfants accrochés à vos basques, décidés à ne pas vous laisser partir. Edwin organise le regroupement : deux cercles, et tout le monde joue. « Le facteur n’est pas passé » n’a pas de frontières. Puis vient l’heure de distribuer sandwiches, nouilles, toujours avec la même pédagogie.
Pas loin de cette place, Edwin fait construire un immeuble, pour son projet « Une maison pour les enfants des rues ». Des bénévoles mettent la main à la pâte, et achètent le matériel nécessaire avec les dons faits par les groupes qui se succèdent. Il y aura quatre étages, et 73 personnes pourront y vivre. Ce 8 février, Edwin était nerveux, malgré l’habitude. Il s’enregistrait, pour être sûr, à la réécoute, de ne rien oublier la 152e fois. Un pense-bête dans sa main ; il y a griffonné « Parler lentement ». Au-delà de ses efforts concrets, le message doit passer. Pour que, peut-être, deux « blancs » fassent éclore l’Edwin de demain.
DES RIZIÈRES VIEILLES DE 2000 ANS
BATAD. Le spectacle se mérite. Depuis Manille, il faut prendre un bus de nuit qui, durant 9 heures, fait souffler la climatisation à son maximum, passe de la musique country, et aborde les lacets de la cordillère à vive allure. Et, si vous avez le malheur de réserver votre place à la dernière minute, c’est le strapontin assuré. La souffrance, donc, avant la splendeur. Une fois à Banaue, un trajet de 45 minutes, en jeepney ou van, permet de rejoindre Batad et ses rizières vieilles de plus de 2000 ans, classées au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1995. La route n’étant pas terminée, il faut finir à pied, avant de pouvoir surplomber ce cirque où la pente est devenue plaine.
MAYON, VOLCAN A HAUTS RISQUES
LEGAZPI. Situé au sud de la province de Luzon, le volcan Mayon, qui toise la ville de Legazpi, est le plus actif des 23 (hors inactifs) que comptent les Philippines – 49 éruptions en 400 ans. Par temps clair, il s’offre merveilleusement aux voyageurs des airs, à bord des avions qui le contournent, au départ comme à l’arrivée. Son sommet n’est désormais plus accessible aux randonneurs, depuis le décès lors d’une éruption en mai 2013 de voyageurs allemands. Hors forte activité, le soufre qui s’en échappe constamment est un danger immédiat.
C’est donc jusqu’au Camp 2 seulement que je me suis rendu, à 1025 mètres d’altitude. Bien loin des 2462 auxquels il culmine. La randonnée, après un départ quasiment plat qui parcourt des sentiers forestiers, continue sur la coulée de l’éruption de 1814. Une ascension abrupte, à 45%, à même la lave qui enferme ça et là des piscines naturelles. Notre guide, Djamil, nous rappelle que par temps de pluie, l’ascension est systématiquement annulée, à cause du risque de glissade. A 39 ans, il a déja participé à de nombreuses missions de secours avec ses proches, et frôlé la mort, lors d’éruptions phréatiques notamment.
Considéré comme un cône parfait, c’est au plus près, parmi les sillons de roche, que l’on aperçoit les canyons qui dessinent aujourd’hui les aspérités d’un paysage accidenté. Parfait de loin, donc, mais beau, c’est à n’en pas douter. Son nom évoque d’ailleurs cet esthétisme, puisque Mayon est dérivé de l’expression tagalog Daragang Magayon, qui signifie « belle femme ». L’ascension se fait en 3 heures environ, avant de pouvoir contempler, au loin, la ville de Santo Domingo et les îles Batan, Rapu Rapu, ou encore Cagraray (difficilement visibles au moment où j’ai pris ces clichés).
Depuis les airs
Lors de l’ascension
Depuis Legazpi
RENCONTRE AVEC UN REQUIN-BALEINE
LA RELIGION DU « COCKFIGHT »
DONSOL. Sous une chaleur écrasante, la quasi-totalité du village est réunie autour de cette arène de fortune. Quelques mètres de diamètre, une barrière à hauteur de genou, et des bambous qui forment des tribunes, sur lesquelles la foule se perche et observe les combats, par dessus l’épaule des précipités au premier rang. A bien y regarder, on compte les femmes sur les doigts de la main. Hommes de tous âges, en revanche, se sont disputé les meilleures places.
Au centre de la piste, des protagonistes à plumes. Chouchoutés, entraînés, et même dopés aux stéroïdes anabolisants, deux coqs vont en découdre en quelques minutes, quand il n’est pas question de secondes. La raison d’un épilogue si rapide ? Les lames d’une dizaine de centimètres fermement attachées à l’une des pattes de chacun des combattants. Quand il agresse son adversaire, le gallinacé projette ses membres inférieurs. La lame est là pour faire le travail que les griffes seules ne pourraient pas effectuer : transpercer les chairs.
Claquements d’ailes et vols de plumes sont encouragés par les cris des spectateurs venus parier. Pendant 3 heures, 20 combats vont permettre aux bookmakers de brasser des milliers de pesos. Quelques secondes avant le match, ils envahissent l’arène et enregistrent, de tête, les paris. Une cacophonie qui dure environ 30 secondes, où chacun crie pour entériner sa mise. Pendant ce temps, on prépare les coqs au combat, provoqués par d’autres, afin de stimuler leur agressivité.
Un combat gagné rapporte 15.000 pesos (300 euros), une fortune, au propriétaire. C’est en partie l’une des raisons de la popularité de ce qui est désormais considéré comme un sport. Une défaite, par contre, inflige un sacré coup à l’honneur du perdant. Chaque jour, d’un village à l’autre, des réputations se font et se défont. C’est le quotidien de toutes les provinces des Philippines. Autour de l’arène, on boit, on mange, et on parie lors de jeux de type casino, entre deux combats. Dans un pays où la foi est prédominante, plus qu’une passion, le combat de coqs est un rite.
Certaines images qui suivent peuvent déranger, choquer.
Vice Australia a réalisé un reportage vidéo (ici, en anglais) sur cette pratique. On y voit qu’à plus grande échelle, dans les villes, ces combats prennent une toute autre dimension, attirant des milliers de spectateurs. Une industrie est née, avec la création d’élevages de coqs, dont la réputation – et donc la pérennité de l’entreprise – est mise en jeu à chaque confrontation. Une statistique : 30 millions de coqs sont tués chaque année, soit environ 82.000 par jour.
EN QUÊTE DE LAGONS SECRETS
EL NIDO. La légende veut que lorsque Alex Garland a écrit La plage, qui deviendra un film à succès, il parcourait les lagons secrets de Palawan, non les plages de Thaïlande. A voir ces bancs de sable cachés dans une roche saillante, on comprend aisément l’inspiration qu’ils ont pu susciter. Au départ d’El Nido, village niché au Nord de la longue île de Palawan, de nombreuses embarcations mènent les touristes d’un lagon à l’autre. Au choix, 4 tournées sont proposées, afin de couvrir une petite partie de la quarantaine d’îlots qui émergent le long de la côte. Helicopter Island, Big Lagoon, Small Lagoon, Hidden Beach, Matinloc Shrine… Les paradis dédiés à la baignade et au snorkelling (masque et tuba) sont légion. Un décor de carte postale qui attire, aussi, les amateurs de couchers de soleil.